Ecrire une chronique sur les rencontres amoureuses m’a poussé à m’interroger sur les rencontres via le net.
Je me souviens que mon prof d’éco au lycée, soixante-huitard viscéralement anticapitaliste, avait appelé ça la marchandisation de l’amour : « Vous voyez, pour satisfaire en permanence notre société, on se met même à nous vendre des sentiments ». Et il a raison, car un site de rencontre n’a d’autre utilité que de combler les besoins affectifs de célibataires désespérés. Le principe des sites de rencontre, c’est mettre l’amour à disposition des usagers, comme un vulgaire produit. Or, les sentiments sont, par essence, incontrôlables, personne ne peut « décider » de tomber amoureux. L’amour ne se commande pas comme un plat chez un traiteur. Ce n’est pas pour rien que la formule emploie le verbe « tomber », qui renvoie à l’idée d’imprévisibilité.
Les sites de rencontre, personnellement, je n’y crois pas trop. Pourtant, j’ai plusieurs amis qui y ont rencontré leur copain(ine). Tant mieux pour eux, s’ils se plaisent ainsi et que leur relation fonctionne. Au risque de paraître vieux jeu, je préfère le hasard des rencontres à la provocation du destin. Oui, j’appelle ça une provocation du destin car à mes yeux, l’Amour ne se décide pas. Moi, je préfère croire en la magie du « coup de foudre ». Je reste sceptique à l’idée de rencontrer un inconnu sur les réseaux sociaux sans l’avoir jamais vu en vrai. Bien sûr, les relations sur Internet se basent sur les discussions, les affinités communes, les mêmes goûts, les similarités. Mais pour moi, ça ne suffit pas. Car avec un meilleur ami, on partage également les mêmes valeurs, sans pour autant l’aimer d’amour. Ce qui nous ramène à cette éternelle question, qu’est-ce qui fait qu’on tombe amoureux ? d’autres critères entrent donc en compte, il existe forcément un petit « plus ».
Ce petit plus vient sans doute de l’attirance à la première rencontre. Autrefois, je critiquais ma sœur qui prétendait que le physique comptait beaucoup dans les sentiments. Mais je réalise qu’elle avait raison. Car le physique reste la première chose qu’on voit chez une personne. Lui trouve-t-on du charisme, le juge-t-on séduisant ou non, a-t-on envie d’aller vers elle ? C’est l’attrait qui la rend fascinante et nous donne envie de la connaître. Cette conclusion sous-tendrait que les personnes laides aient moins de chance de plaire que les beaux. Injustice de l’amour. Mais même si le beau est aujourd’hui unanimement accepté comme une valeur objective, notre perception d’une personne belle varie d’un individu à l’autre. Il existe des critères communs, certes : une silhouette harmonieuse, des traits symétriques, un visage régulier. Cependant, nous sommes plus ou moins sensibles au charme dégagé par ladite personne. Si vous voulez connaître mes préférences, j’adore les hommes d’âge mûr, à la taille mince, et légèrement efféminés. D’autres préféreront les malabars protéinés faisant preuve d’une grande virilité, quelques-uns les bruns, ou les blonds, les petits, les grands, la barbe, les tatouages. La liste est longue. Et elle évolue. Enfant, j’adorais les garçons petits, bruns, mince, et avec des lunettes. Allez savoir pourquoi. Les psychologues prétendent qu’il faille remonter –encore une fois- à la toute petite enfance. Le sentiment amoureux serait selon certains scientifiques une reproduction du complexe d’Œdipe : l’élu de notre cœur n’est autre qu’une projection de notre parent de sexe opposé, d’où les ressemblances.
Heureusement, les rencontres amoureuses ne se limitent pas qu’au physique. Une personne peut se montrer très belle et s’avérer répugnante à l’intérieur. Je trouve Jude Law absolument magnifique, et pour autant il a la réputation notoire d’un coureur de jupons. La personnalité joue beaucoup pour maintenir l’appréciation de la personne. Et cette évaluation va ensuite influer sur la perception qu’on aura de son physique. Si le comportement de la personne nous plait, on aura tendance à la trouver davantage attirante qu’au premier jugement. En revanche, si après discussions on découvre un être exécrable, on l’estimera alors plus laid qu’au début. Et inversement : une personne qu’on ne trouvait pas forcément belle de prime abord nous paraîtra plus attractive si son tempérament nous plaît. Ainsi, physique et personnalité sont liés. Un individu dont le caractère nous satisfait va sembler séduisant, mais un comportement détestable nous le rendra hideux. Bien que l’individu ne change pas, c’est son attitude qui fera varier son charisme.
De fait, les rencontres Internet réduisent le jugement de la personne seulement à son comportement. Ce qui s’avère en soi avantageux pour les personnes laides. L’alchimie passe par les conversations et non plus par l’approche extérieure. Le physique vient après, puisque les deux entités se rencontrent réellement tardivement. Oui, les photos existent, mais elles ne témoignent pas de certaines caractéristiques imperceptibles sur du papier 2D fixe : l’élégance d’une démarche, la profondeur d’un regard, ou l’attrait d’un sourire. Et c’est ce charme qui validera ensuite l’appréciation de la personne.
Ce qui me plaît également dans la vraie vie, c’est le hasard des rencontres. Quand l’amour nous tombe dessus sans qu’on s’y attende. Côtoyer une personne tous les jours, la connaître depuis des années et se rendre compte au fil du temps qu’on éprouve quelque chose pour elle. Se rencontrer au travail, entre amis ou à une soirée, et petit à petit laisser les sentiments éclore, se développer et grandir. Personne ne prévoit de tomber amoureux, surtout pas de son prof ou de son chef, ah ah ah. On peut choisir ses fréquentations, mais on ne décide pas parmi nos connaissances, celui qui nous renversera le cœur. Et c’est justement cette imprédictibilité que j’aime.
Les sites de rencontre au contraire ont pour vocation même les entrevues amoureuses ; l’amour est volontairement et délibérément l’objet recherché. Grâce à la magie du virtuel, Internet offre la possibilité de se procurer un élément, que dis-je, un sentiment qui ne s’obtient pas dans la vraie vie. Avant même de connaître la personne, les deux interlocuteurs savent quel type de relation ils attendent. Aucune chance n’est laissée au hasard, on ne se laisse même plus surprendre par ses émotions. Car pour moi, l’amour c’est comme le bonheur : plus on le cherche, moins on le trouve. Je conclurai d’ailleurs sur cette citation de Nathaniel Hawthorne, écrivain américain du XIXe : « Le bonheur c’est comme un papillon qui, lorsqu’il est pourchassé, reste toujours hors de portée mais qui, si vous restez assis calmement, viendra peut-être se poser sur vous. ».